Gaz : vers une nouvelle obligation de remplissage des stocks européens

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Station d'interconnexion gazière entre la France et l'Allemagne

Station d'interconnexion gazière entre la France et l'Allemagne à Obergailbach. (©GRTgaz)

Le Parlement européen a voté le 8 mai dernier à Strasbourg un texte visant « à répondre à la spéculation sur le marché du gaz et à faire baisser les prix, en introduisant plus de flexibilité dans les règles relatives au remplissage ». Les eurodéputés doivent désormais mener des négociations avec la présidence polonaise du Conseil, avec une première série de pourparlers débutant ce 13 mai.

Quelle était l'obligation de stockage jusqu'ici ?

Suite à l'invasion russe de l'Ukraine et face à la crise énergétique, l'Union européenne a adopté un règlement en juin 2022(1), prévoyant des niveaux de remplissage minimum des installations de stockage souterrain de gaz « dans le but de garantir la sécurité de l'approvisionnement » durant l'hiver : les pays européens sont actuellement tenus d'atteindre un niveau de remplissage de leurs stocks de gaz naturel d'au moins 90% au plus tard le 1er novembre de chaque année (depuis 2023, l'objectif était de 80% en 2022)(2).

Règlement 2022/1032 du Parlement européen et du Conseil du 29 juin 2022 sur le stockage de gaz

En 2024, l'Union européenne a atteint ce niveau de remplissage au niveau communautaire avec 10 semaines d'avance sur cette date.

Quel est le niveau des capacités de stockage ?

La capacité totale opérationnelle de stockage de gaz de l’UE s'élève à 105 Gm3, indique Armelle Lecarpentier, cheffe économiste chez Cédigaz. La consommation gazière de l’UE27 a quant à elle atteint 329 Gm3 en 2024. Selon la Commission européenne, le stockage permet de couvrir près de 30% de la consommation gazière de l'UE durant l'hiver. 

La France dispose pour sa part de « 130 TWh de capacités de stockage souterrain de gaz naturel, ce qui représente un peu moins d’un tiers de sa consommation annuelle de gaz », rappelle la CRE(3) (à comparer avec une consommation annuelle brute de 361 TWh en 2024). Sur ce total, 100 TWh sont exploités par Storengy, filiale d'Engie qui dispose de 14 sites de stockage gazier en France (et de 7 autres en Allemagne et au Royaume-Uni, ce qui en fait le 1er opérateur de stockage souterrain en Europe).

Que propose le Parlement européen ?

Le règlement actuel s'appliquant jusqu'à fin 2025, la Commission européenne a proposé le 5 mars dernier(4) de prolonger les obligations de stockage de gaz de l’UE jusqu’à fin 2027 afin de garantir la sécurité de l’approvisionnement énergétique. Mais le niveau de l'obligation de remplissage des stocks (90%) est contesté, la situation sur les marchés gaziers s'étant améliorée, comme le reconnait la Commission européenne. 

Les députés du Parlement européen ont ainsi approuvé la nouvelle proposition de la Commission (par 425 voix pour, 106 contre et 43 abstentions), tout en introduisant des amendements pour « soulager les tensions sur le marché du gaz, car la spéculation autour de l'obligation actuelle de remplissage à 90% d'ici le 1er novembre de chaque année fait augmenter le coût du remplissage pendant l’été ». Ils demandent en particulier un abaissement de l'obligation de remplissage à 83% au lieu de 90%, un objectif à atteindre entre le 1er octobre et le 1er décembre de chaque année.

« Au regard de la réussite de l’Europe à réduire le risque lié à la structure de ses importations de gaz, le cadre général établi pour répondre aux besoins en gaz naturel de l’Union doit trouver un équilibre entre la sécurité énergétique et le retour à des principes fondés sur le marché. Il doit donc être suffisamment flexible pour permettre une adaptation rapide à des conditions de marché en constante évolution et, en particulier, pour faire en sorte que les meilleures conditions d’achat soient réunies afin de faire baisser les prix du gaz en Europe ».

Les États membres pourraient en outre « s’écarter de cet objectif à hauteur de quatre points de pourcentage en cas de conditions de marché défavorables, comme des ruptures d’approvisionnement ou une demande accrue », plaident les eurodéputés. Et la Commission pourrait autoriser une dérogation supplémentaire de quatre points « si ces conditions de marché persistent ». 

Ainsi, les États membres devraient, dans ces conditions particulières, «veiller à ce que l’ensemble des flexibilités et des dérogations n’aboutisse pas à un niveau de remplissage global inférieur à 75%», précisent les députés.

Amendements du Parlement européen, adoptés le 8 mai 2025, à la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) 2017/1938 en ce qui concerne le rôle du stockage de gaz dans la sécurité de l’approvisionnement en gaz avant la saison hivernale

Quelles conséquences ?

Concrètement, le passage de 90% à 83% de remplissage des stockages de gaz revient à diminuer le volume de gaz devant être stocké de 94,5 Gm3 à 87 Gm3, ou « de 29% à 26% de la consommation de l’UE (sur une base annuelle 2024) », indique Armelle Lecarpentier.

Mais ces évolutions successives peuvent surprendre : « soit la réglementation a un sens et il faut la conserver, soit elle ne sert à rien et il faut supprimer ladite réglementation », juge Thierry Bros, professeur à Sciences Po spécialiste des marchés gaziers. Ce dernier considère comme « stupide de passer son temps à faire et défaire des règlementations », l'UE montrant « son plus mauvais côté avec ce changement aujourd'hui [...] On laisse les lobbies décider si c'est 90% ou 83% ».

Quid du gaz russe ?

La Commission européenne a par ailleurs présenté le 6 mai une nouvelle feuille de route pour mettre fin à la dépendance à l'énergie russe, avec entre autres l'ambition de supprimer progressivement toutes les importations restantes de gaz russe (gazoduc et GNL) d'ici la fin de 2027. Les eurodéputés confirment qu'il est aujourd'hui « nécessaire et possible de décréter un embargo total sur le gaz russe, dont la mise en œuvre rapide contribuerait à renforcer la souveraineté énergétique et la résilience géopolitique de l’Union ».

Roadmap towards ending Russian energy imports (Commission européenne, mai 2025)

Avec 23 Gm3 de GNL livrés en 2024, la Russie était pourtant encore le deuxième fournisseur de GNL de l’UE l'an dernier, rappelle Armelle Lecarpentier. À ce total, s'ajoutent toujours 31 Gm3 de gaz russe importés par l’UE par gazoducs. In fine, le gaz russe a encore « représenté 14% de l’approvisionnement gazier européen en 2024 » (8% fourni par gazoducs et 6% livré sous forme de GNL). 

Quel impact sur les prix du gaz ?

À la suite de la feuille de route de la Commission, « une proposition juridique va suivre en juin car cela devra être progressif et des défis juridiques se posent », prévient Armelle Lecarpentier. « L’objectif dans un premier temps est de résilier les contrats spot d’ici la fin de l’année 2025 au plus tard puis tous les contrats long terme d’ici à 2027 ».

Avec un impact sur les prix : « les annonces alimentent un contexte de tensions sur le marché du GNL en 2025 (accès au GNL américain pour remplacer le gaz russe) et constituent donc un facteur haussier ». La situation à plus long terme reste par ailleurs « incertaine », juge Armelle Lecarpentier.

« Laissons le marché résoudre les problèmes d'approvisionnement », plaide pour sa part Thierry Bros. « Soit on met en embargo sur le gaz russe (au risque d'une nouvelle crise énergétique), soit on se passe des commentaires moralisateurs d'élus ». Il rappelle par ailleurs que « les prix élevés depuis 2021 ont permis à de nouvelles productions de GNL de voir le jour, l'équilibre va donc petit à petit se détendre ».

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