
Les Français sont majoritairement perdus lorsqu'il est question de choisir leur fournisseur d'énergie, selon les dernières données de l'IFOP, présentées par son directeur général Frédéric Dabi lors des 25 ans de la CRE début juin. Comment l'expliquer ?
Les Français se sentent « mal informés »
Selon les dernières données de l'IFOP, 59% des Français estiment que les différentes offres d’énergie proposées par les fournisseurs d’électricité et de gaz (tarifs, options, conditions) ne sont « pas suffisamment claires pour être en mesure d’en choisir une » qui leur convient.

Et les Français indiquent dans une proportion assez similaire se sentir « mal informés pour choisir [leur] contrat d’électricité ou de gaz en toute confiance » (à 57%).
Un constat inquiétant alors que même les prix de l'énergie constituent un enjeu central pour les ménages : les factures d’énergie demeurent « une préoccupation majeure pour 85% des consommateurs » selon le dernier Baromètre annuel du médiateur national de l'énergie(1).
« Un sentiment d’opacité sur les offres »
Près de 18 ans après l'ouverture totale à la concurrence des marchés français de l’électricité et du gaz naturel(2), ce constat peut globalement s'expliquer « par un environnement de marché assez complexe, avec un contexte mouvant de l’énergie (volatilité des prix liée aux tensions géopolitiques, évolutions fréquentes des tarifs réglementés…) et une multiplication des fournisseurs », juge Lisa Roure, chargée d’études sénior au sein de l'IFOP. C'est dans cet environnement « instable » que peut se développer « un sentiment d’opacité sur les offres, qui changent également aussi vite ».
Les pratiques de certains fournisseurs d'énergie sont aussi montrés du doigt : lors des augmentations de prix, seuls 6 consommateurs sur 10 rapportent avoir été correctement informés par leur fournisseur. Les services du médiateur de l'énergie confirment une information peu transparente de la part des fournisseurs qui a entraîné une hausse de 70% des litiges concernant les prix appliqués pendant la crise des prix de l’énergie. Cette autorité indépendante a été créée fin 2006 avant l'ouverture des marchés à la concurrence, précisément avec cette « double mission de médiation et d'information », rappelle Caroline Keller, chargée de la communication du médiateur de l'énergie.
Si les fournisseurs ne font pas toujours preuve d'une grande transparence, une forme d'attentisme des consommateurs est parfois également constatée chez les ménages : seuls 36% des consommateurs cherchent à obtenir des informations sur la possibilité de changer de fournisseur, indique le médiateur (alors même que 9 personnes sur 10 savent qu’il est possible de changer de fournisseurs et que 73% en connaissent les modalités). Reste donc à chercher l'information, accessible entre autres sur le site du médiateur, souligne Caroline Keller (le médiateur dispose également d'un centre d'appels et d'un comparateur des offres de fourniture).
Parmi les catégories de personnes interrogées par l'IFOP, une seule estime majoritairement que les offres de fourniture sont suffisamment claires : les 18/24 ans. Différentes explications sont possibles : « les 18/24 ans sont probablement moins engagés dans la gestion quotidienne du foyer (soit parce qu’ils n’ont pas encore leur propre logement ou s’appuient sur leurs parents) et les plus jeunes sont aussi plus habitués à la consommation via les plateformes (comparateurs, avis en ligne…). Cela leur donne plus d’aisance pour décrypter les offres », avance Lisa Roure.
Des lignes directrices fixées par la CRE
Alors que les Français sont très nombreux à déplorer la clarté des offres de fourniture d'énergie, les nouvelles mesures ne manquent pas pour tenter de faire progresser leur information et leur assurer une meilleure protection. Le médiateur de l'énergie édite par exemple un guide des bonnes pratiques des opérateurs depuis 2023 (actualisé en 2024).
À l'été 2024, la Commission de régulation de l'énergie a par ailleurs annoncé la mise en place de 13 lignes directrices relatives aux pratiques des fournisseurs d’électricité et de gaz naturel, qui visent précisément à « renforcer l’information et la protection des consommateurs ». Depuis, « 24 fournisseurs nationaux et plus de 50 fournisseurs locaux, représentant plus de 99% des consommateurs résidentiels (seuls concernés dans un premier temps) ont formellement confirmé leur engagement », indique la CRE.
Le médiateur rencontre deux fois par an les principaux opérateurs (fournisseurs d'énergie et gestionnaires de réseaux) pour accompagner cet effort de transparence. Il peut aller jusqu'à décerner publiquement des « cartons rouges » à des fournisseurs d'énergie en cas de dérive (en 2024, 3 ont été attribués à wekiwi, Primagaz et JPME(3)). Cette pratique de « name and shame » est utile pour inciter les opérateurs à améliorer leurs pratiques mais « elle ne s’accompagne pas de sanctions, car ce n’est pas le rôle du médiateur national de l’énergie », reconnaît Caroline Keller.
De nombreux progrès restent ainsi à faire sur l'information des consommateurs, par exemple sur « les modes d'évolution des prix, notamment des offres à prix fixes qui peuvent reposer sur différents types d'indexation » (par exemple des offres à prix « fixe » évoluent en cas de variation du tarif d'acheminement « TURPE »).
Des offres qui vont se complexifier : quels risques ?
La recherche d'une meilleure l'information des consommateurs est d'autant plus nécessaire que les offres de fourniture sont amenées à être de plus en plus nombreuses : Caroline Keller souligne d'ailleurs que « les offres se sont déjà complexifiées pour l'électricité : heures super creuses la nuit, recharge de véhicules électriques, tarif d'acheminement en 4 cadrans conduisant à une tarification différente en été et en hiver... ».
Le pilotage de la demande est amené à constituer un outil de flexibilité de plus en plus important, dans le contexte d'électrification des usages. Des tarifications « dynamiques » (avec un prix du kWh évoluant par exemple toutes les heures selon le prix de marché) vont notamment se développer et nécessiteront une compréhension approfondie des clients y étant soumis : « cela consiste en un transfert du risque depuis le fournisseur vers le consommateur » que Caroline Keller déconseille aux consommateurs, hormis pour les personnes expertes du marché de l'électricité.
Pour sensibiliser les ménages à ces nouvelles offres, le PDG de TotalEnergies Patrick Pouyanné avait expliqué, lors des 25 ans de la CRE, qu'un effort de pédagogie auprès des clients, était nécessaire et que cet « investissement » devrait être compensé par un engagement minimum des clients en retour (par exemple une période d'engagement de 6 à 12 mois, ce qui est actuellement contraire au Code de la consommation). Là encore, Caroline Keller souligne les risques associés, s'appuyant sur « le vécu du médiateur conseillant les TPE ». Pour ces dernières, « plus de la moitié des litiges sont liés aux frais de résiliation anticipés ».